Interview
Mandy Juillerat, étudiante en master de sciences de la vie et collaboratrice scientifique à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-FR), a développé un projet d’aquaponie avec le soutien du programme Student Incubator du Smart Living Lab.
Comment ce projet d'aquaponie est-il né?
J’ai découvert l’aquaponie en avril 2019, quand j’ai commencé à travailler sur un projet de cultures hydroponiques, mené par le Professeur M. Dabros à l’Institut ChemTech (HEIA-FR). C’est exactement ce que je recherchais lorsque – en changeant complètement de voie après une maturité fédérale bilingue avec l’option principale latin – j’ai choisi d’étudier le lien avec la pratique et l’expérience sur le terrain à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg.
"Alors que mon prototype prenait forme, j’ai entendu parler du Student Incubator: j’ai tenté ma chance, et cela a payé!"
En discutant de ce projet avec une collègue, elle m’a parlé de l’aquaponie, qui est une variante de l’hydroponie. J’ai tout de suite été séduite par le concept! J’ai fait quelques recherches et, le soir même, en rentrant chez moi, j’ai appelé mes parents: « Hey, cela vous dirait qu’on fasse pousser des légumes avec des poissons? ». Avec des vidéos Youtube et des schémas, je les ai convaincus de consacrer quelques mètres carrés de notre jardin à ce projet. Alors que mon prototype prenait gentiment forme, j’ai entendu parler du programme Student Incubator du Smart Living Lab: j’ai tenté ma chance, et cela a payé!
Pourquoi cette technique de culture a-t-elle de quoi séduire?
L’aquaponie est à mes yeux une solution de culture maraîchère durable, qui répond parfaitement aux défis environnementaux auxquels nous sommes actuellement confrontés.
L'aquaponie est une technique de culture alliant l'hydroculture et la pisciculture. En aquaponie, comme en hydroponie, les plantes ne sont pas cultivées dans la terre, mais sur un substrat irrigué par un mélange d'eau et de nutriments. Si en hydroponie les nutriments proviennent d'engrais chimiques, en aquaponie, c'est le système de pisciculture qui va enrichir l'eau en nutriments. En effet, les déjections des poissons vont être transformées par un ensemble de bactéries jusqu'à être assimilable par les plantes. Par la même occasion, les plantes nettoient l'eau des poissons, ce qui permet un élevage plus intensif.
En des termes plus simples, il s’agit d’une combinaison de pisciculture et de culture hors-sol : l’eau de pisciculture, chargée en nutriment par les excréments des poissons, est utilisée pour faire pousser des fruits, des légumes et des herbes aromatiques. Par rapport à la culture maraîchère traditionnelle, l’aquaponie permet ainsi d’économiser l’eau d’arrosage tout en limitant l’utilisation d’engrais chimiques. De plus, elle ne requiert pas de terrain cultivable et peut être facilement développée en milieu urbain.
"L’aquaponie est une solution de culture maraîchère durable, qui répond parfaitement aux défis environnementaux actuels"
Elle est, en somme, une version moderne de la production agricole, qui permet d’économiser des ressources naturelles, mais également de l’espace. Elle est ainsi parfaitement adaptée à un grand nombre de défis actuels – la croissance démographique, l’urbanisation, l’urgence écologique, l’approvisionnement en denrées alimentaires de bonne qualité – et représente une solution idéale pour une production plus locale. En rapport avec la crise sanitaire actuelle, il me semble par ailleurs essentiel que la Suisse soit capable de subvenir à ses propres besoins en termes de denrées alimentaires dans un avenir proche.
Lorsque j’ai découvert l’aquaponie et ses nombreux avantages, je me suis alors demandé pour quelle raison elle n’était pas encore très pratiquée. Puisque mes études m’avaient fourni les connaissances et les compétences nécessaires, j’ai – peut-être naïvement – ressenti le devoir d’essayer d’en comprendre tous les mécanismes, ma principale motivation étant de montrer qu’elle peut être mise en œuvre chez nous, en Suisse, dans nos jardins.
"J’adore me rendre tous les jours dans la serre pour observer chaque nouvelle feuille"
La première étape de mon projet était la création d’un système aquaponique au fond de mon jardin: j’ai installé un aquarium de 400L avec une quinzaine de poissons rouges et deux systèmes de cultures aquaponiques. Dans une optique d’ingénierie, je voulais commencer par comprendre ce qui influençait le développement des plantes et des poissons et ainsi optimiser le système.
C’est impressionnant de constater tout ce que la nature sait faire, comment tout cet équilibre fonctionne! J’adore me rendre tous les jours dans la serre pour observer chaque nouvelle feuille qui a poussé. Mais je me suis rapidement rendu compte que l’aquaponie pose également de nombreuses difficultés techniques et n’est pas simple à apprivoiser.
Quels sont les défis auxquels vous essayez de répondre?
Tout d’abord, développer un projet tout entier sur un sujet que l’on est en train de découvrir, c’est une démarche passionnante. J’ai dû sans arrêt remettre en question le travail déjà réalisé et chercher de nouvelles solutions aux défis qui se présentaient. J’apprends encore beaucoup tous les jours.
Le prototype que j’ai construit dans mon jardin est fonctionnel depuis quelques mois maintenant, j’ai même déjà récolté quelques légumes – des tomates, des salades, des poivrons – à la fin de l’automne passé. Au printemps 2020, le système avait déjà redémarré, les plantes se sont développées rapidement, et en juin j’avais déjà récolté mes premières fraises!
J’ai ainsi atteint le premier objectif que je m’étais fixée, mais le projet se poursuit. Je suis actuellement en train d’installer des appareils de mesure dans la serre, qui devront m’aider à comprendre plus en détail les paramètres qui influencent le système, et notamment l’impact de certaines propriétés de l’eau du bassin, ainsi que de l’air à l’intérieur de la serre. J’espère que les données récoltées me permettront de l’optimiser encore davantage.
Quelles sont aujourd’hui les perspectives concrètes?
Je souhaite maintenant construire un deuxième prototype plus compact, un « meuble aquaponique », dans le but de prouver qu’il est possible de réaliser des cultures en aquaponie même en intérieur et en appartement. Dans l’idéal, ce meuble permettra de cultiver tout au long de l’année diverses plantes aromatiques.
"Dans l’idéal, je souhaiterais que l’aquaponie soit plus répandue en Suisse"
Cela signifie bien évidemment résoudre de nouveaux défis. Tout d’abord, un volume d’eau réduit va être beaucoup plus difficile à gérer, car l’inertie du système est plus petite. Ensuite, je voudrais créer un meuble qui allie fonctionnalité et esthétisme, ce qui implique de concevoir différemment l’agencement des éléments.
Dans l’idéal, je souhaiterais que l’aquaponie soit plus répandue en Suisse. J’imagine qu’on pourra l’utiliser dans des piscicultures, sur les toits des bâtiments, dans des appartements. Je suis persuadée que, couplée avec d’autres techniques agricoles, l’aquaponie représente un excellent moyen de subvenir à nos besoins en denrées alimentaires. Evidemment, je me rends bien compte qu’il y a encore un long chemin à parcourir, mais nous pouvons déjà faire les premiers pas et planter les premières graines...
Interview: Sofia Marazzi, HEIA-FR
Contact
Jean-Philippe Bacher
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-technology transfer
Information
"Le Student Incubator est un programme mis en place par le Smart Living Lab pour aider les étudiants à mettre leur projet sur pied. Ce programme m'a offert non seulement un soutien financier, mais également un soutien managérial. De plus, la participation au programme a donné de la crédibilité au projet et a participé à sa valorisation. Me sentir soutenue a été pour moi un véritable booster de motivation!" Mandy Juillerat